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MNAM : les cafouillages d'une nomination

Le Centre Pompidou vient de s'offrir une semaine folle, et le monde de l'art, en France comme à l'étranger, a suivi ce feuilleton avec effarement. On veut parler du processus qui a mené à la nomination de Bernard Blistène, vendredi 15 novembre, comme directeur du Musée national d'art moderne (MNAM), logé dans Beaubourg. Un bel enjeu, car c'est un des trois plus importants musées du XXe siècle, avec le MoMA, à New York, et la Tate Modern, à Londres.

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Lire : le portrait de Bernard Blistène, par Emmanuelle Lequeux


Le MNAM expose 2 000 œuvres pour une collection de 100 000 objets, sur laquelle veillent trente conservateurs. Belle machine, qui, depuis douze ans, est dirigée par Alfred Pacquement. Ce dernier part à la retraite le 27 décembre et sa succession est ouverte depuis avril. Celui qui a les clés de l'opération est le président du Centre Pompidou, Alain Seban : il doit proposer un nom à la ministre, Aurélie Filippetti, qui l'accepte ou non. M. Seban a mis en place un comité de six spécialistes, qu'il présidait, avec pour mission de sélectionner quatre noms. Rien à redire sur ces ' sages ' où l'on trouve Suzanne Pagé (ancienne directrice du Musée d'art moderne de la Ville de Paris) ou Neil MacGregor (directeur du British Museum).


Pour respecter la parité, chère à Aurélie Filippetti, la commission a choisi deux hommes et deux femmes. Et pour être dans l'air du temps, deux Français et deux étrangers. Soit : Catherine Grenier, directrice adjointe du MNAM, Laurent Le Bon, directeur de l'antenne du Centre Pompidou à Metz, l'Allemande Marion Ackermann, qui dirige un musée à Düsseldorf, et l'Autrichien Max Hollein, qui pilote deux institutions à Francfort.


Lire aussi : l'entretien avec Catherine Grenier et Laurent Le Bon


Ce dernier tient la corde. Le profil est séduisant, lui aussi bien dans l'air du temps. Son parcours est international, à la différence des trois autres, puisqu'il a travaillé au Musée Guggenheim, à New York, et il est considéré comme un as pour capter l'argent des mécènes et des entreprises. Mais Max Hollein, coup de théâtre, jette l'éponge le 14 novembre. Les discussions auraient achoppé sur son salaire. Selon Le Quotidien de l'art, journal en ligne, Hollein exigeait entre 30 000 et 40 000 euros par mois, quand Alfred Pacquement en gagne moins de 10 000, et qu'un conservateur débute à moins de 2 000 euros. ' Trente mille euros ? Archi-faux !, rétorque Alain Seban. La discussion sur le salaire était à peine engagée avec M. Hollein, sur une base compatible avec les normes des musées en France. Ce n'est pas ça qui a motivé son retrait. '


Quoi, alors ? Le président de Beaubourg, comme le ministère de la culture, dénonce des réflexes ' anti-étrangers ', dans la presse mais pas seulement, propres à stigmatiser M. Hollein avant même sa nomination. Un peu court comme explication. D'autant que plusieurs sources semblent attester que le salaire de M. Hollein faisait vraiment débat. Ce dernier a également pu reculer quand les deux candidats français ont annoncé dans Le Monde qu'ils faisaient candidature commune.


TRACES DOULOUREUSES

Reste qu'il faudra expliquer comment Bernard Blistène, conservateur certes de qualité, un temps recalé par les ' sages ', a été repêché par eux, à la demande de M. Seban, pour doubler sur la ligne deux de ses confrères jugés meilleurs que lui. Sans doute ces derniers ont été mis hors-jeu à cause de leur candidature commune. Au-delà, l'affaire laissera des traces. D'abord ce cafouillage est la conclusion d'un processus trop long, où pendant sept mois, les rumeurs ont succédé aux intrigues. ' Plus personne ne travaillait, le musée était paralysé ', confie un conservateur. Et puis le ministère de la culture, avec une marge de manœuvre restreinte, fétichise son pouvoir de nomination, au point de créer, malgré son désir de transparence et sa bonne foi, polémiques et frustrations.


Cette affaire, surtout, a cristallisé les critiques contre Alain Seban, que ce soit au sein du musée, dans des services de la culture ou dans le monde de l'art. Et il en sort fragilisé. Polytechnicien et énarque, ce dernier passe pour un président autoritaire pour ne pas dire hégémonique, qui intervient dans la programmation et les choix artistiques du musée. Au ministère, certains le surnomment ' Kim Jong-il ', nom du dictateur nord-coréen... Et Didier Rykner, le fondateur du site Latribunedelart.com, avait eu cette formule après que M. Seban a été chargé de rédiger un rapport sur l'art : ' C'est un peu comme si l'on proposait à Attila de faire une étude sur la repousse du gazon. '


Cette réputation a brouillé le processus de nomination. M. Seban a pris son bâton de pèlerin, cherchant un directeur étranger pour le musée - son souhait profond. Il reconnaît avoir rencontré ' une dizaine ' de personnes. Beaucoup ont refusé, car elles auraient dû composer avec le président de Beaubourg. En fait, M. Seban reconduit le système mis en place par Dominique Bozo, en 1991, qui était à la fois président du Centre Pompidou et patron du musée. Mais, nuance de taille, Dominique Bozo était un historien d'art réputé.


Où l'on revient au ministère de la culture, qui, pour de louables motifs d'efficacité, a donné de l'autonomie aux grands musées. Certains présidents en profitent, et ont un comportement qui n'a rien à envier aux pires pratiques qui ont pu être dénoncées dans des entreprises privées. Vexations, brimades, traumatismes... Sans parler de la perte croissante du pouvoir des conservateurs au profit de gestionnaires. Le ministère laisse faire, ou ne veut pas voir, alors qu'il finance ces musées. Beaucoup attendent qu'il reprenne la main sur cette question, d'autant que cela ne coûtera pas un centime.


guerrin@lemonde.fr

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