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' Une jeune actrice. ' C'est ainsi que sa fille aînée, Valeria Bruni Tedeschi, parle de Marisa Borini. Après lui avoir offert son premier rôle au cinéma, il y a dix ans, dans son premier film, Il est plus facile pour un chameau, la cinéaste l'a rappelé pour jouer dans le deuxième, Actrices (2007), puis dans le troisième, Un château en Italie, sorti mercredi 30 octobre sur les écrans. Avec une présence évidente, une drôlerie qu'elle fait parfois trébucher dans l'émotion retenue, cette jeune actrice de 83 ans, campe immanquablement pour sa fille un personnage nommé ' la mère ', grande bourgeoise au caractère bien trempé, pas très tendre, un peu frappée sur les bords, mais toujours digne. ' Il y a toujours de ma personnalité dans ces personnages, admet-elle. Valeria puise. Chaque fois que je lui raconte une histoire, il faut s'attendre à la retrouver dans le film ! '
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Et des histoires, Marisa Borini (ou Bruni Tedeschi, selon que l'on se réfère à l'artiste ou à la matriarche), il y en a plein ses tiroirs. Avec son sourire radieux qui respire l'appétit de vivre, ses grands yeux bleus de chat, elle porte sur son visage les traces de neuf vies pleinement vécues en une seule. Une existence qu'elle décrit comme ' heureuse et intéressante, avec un grand drame ', qui l'a conduite à traverser le XXe siècle en compagnie des plus grands artistes du monde, des hommes les plus puissants, de deux filles devenues célèbres (Valeria et Carla), mais qui s'est fracassée au tournant du XXIe quand son fils Virginio est mort du sida.
Issue d'une famille de la bourgeoisie turinoise qui l'a initiée au piano quand elle avait 6 ans, Marisa Borini a uni sa vie à celle d'Alberto Bruni Tedeschi, un homme passionné de musique comme elle, ami des arts et descendant d'une grande lignée d'industriels. ' C'était une époque où l'on ne demandait pas à un homme ce qu'il voulait faire ', résume-t-elle pour expliquer le destin hors norme qui fut celui de son mari, jusqu'à sa mort en 1996. S'il a endossé le rôle que lui imposait son héritage, reprenant les rênes du groupe CEAT (spécialisé dans les pneumatiques) fondé par son père à la fin du XIX e siècle, Alberto Bruni Tedeschi a scindé son existence en deux pour en consacrer une partie à la musique. Ainsi fut-il également compositeur, chef d'orchestre, et directeur de l'Opéra de Turin (de 1959 à 1971).
Pendant qu'il vivait sa vie, Marisa vivait la sienne. Pianiste concertiste, elle a parcouru le monde au rythme de ses tournées, avant de se convertir à la musique de chambre pour avoir plus de temps pour les siens. Le couple se retrouvait chaque année à Venise pour le Festival de musique contemporaine, et surtout dans le château familial du Piémont, celui-là même où Valeria est revenue en 2012 tourner Un château en Italie. Sous le marronnier, qu'on voit tomber à la fin du film (il n'a pas vraiment été coupé, précise l'actrice), ' le monde entier est passé '. Et elle nomme : ' Maria Callas, Cesar Pavese, Herbert von Karajan, Luchino Visconti... Des musiciens, des industriels, des chefs d'Etat... Tous sont morts maintenant. ' Ce scintillant ballet a continué à Paris où la famille s'est installée au milieu des années 1970 – fuyant non pas les Brigades rouges, comme le dit la légende, mais plutôt les rapts de la Mafia qui se multipliaient à l'époque – et dans leur fastueuse villa varoise du cap Nègre.
CARLA BRUNI, DEVENIR PREMIÈRE DAME DE FRANCE
Rien ne semblait impossible, laisse entendre Marisa Bruni Tedeschi. On raconte qu'elle rêvait de mariages princiers pour ses filles, espérant que leurs séjours dans le Sud les conduirait à rencontrer un Grimaldi. Comme une petite fille prise la main dans le sac, elle pouffe à cette anecdote, mais ne nie pas : ' Quelle mère n'a pas de rêves pour ses filles ?... ' Et elle ne fait pas mystère du plaisir qu'elle a eu à voir sa cadette, Carla Bruni, devenir première dame de France. ' Mais le plus important pour moi était qu'elle soit heureuse ! Et elle l'est. ' Laissant Nicolas Sarkozy, ' un homme délicieux dans les relations familiales ' tel qu'elle le décrit, transformer sa villa du cap Nègre en base stratégique pour toutes sortes de rencontres diplomatiques, elle affirme sans sourciller qu'il a pris aujourd'hui la place de son mari.
Marisa Borini est connue pour avoir eu une vie amoureuse intense – notamment avec le guitariste Maurizio Remmert dont Carla Bruni a appris en 1996, de la bouche de son père, peu avant sa mort, qu'il était son géniteur. Elle réfute cette image. Ses filles ont laissé entendre qu'elles se sont élevées un peu toutes seules, entourées de grands-mères et de nounous ? Fière d' avoir laissé ses enfants libres de leurs choix, elle estime avoir été ' une mère présente '. Et, aussi romanesque qu'ait été sa vie, une ' femme de famille '. Pas moderne, surtout pas engagée.
Cela ne l'empêche pas d' avoir des idées politique, précise-t-elle, mais elle nous laissera les . En méditant, par exemple, sur cette manière qu'elle a de vous dire, plantant ses yeux dans les vôtres comme pour vous mettre à terre, que ' la famille est une force ', que ses enfants l'ont bien compris, et que cette force aura toujours raison des conflits ou des dissensions.
Rompue à la diplomatie, Marisa Bruni Tedeschi rebondit comme un félin sur les questions délicates, comme celle de savoir comment fonctionne cette alliance entre le pouvoir et l'argent qu'elle et sa famille ont toujours incarnée. ' Le pouvoir... Il faut lire la poésie de Kipling... Le triomphe et la défaite, ce sont des menteurs. Le pouvoir, on s'en passe. La défaite, éventuellement, on réagit. '
Elle a tenté de le faire, après la perte de son fils, Virginio, en 2006, drame autour duquel gravite Un château en Italie. ' Pendant des années, j'ai été impuissante à lutter contre sa maladie. Quand ça arrive, on se demande pourquoi. On se demande ce qu'on va faire. Et puis on remonte. On pourrait se jeter d'un rocher, boire, se droguer... Moi, j'y ai puisé de l'énergie. C'est mon grand orgueil. '
FAIRE VIVRE LA MÉMOIRE DE SON MARI
Avec la maladie de Virginio, Marisa Bruni Tedeschi a arrêté le piano. Aujourd'hui, elle a repris. Deux heures par jour, ' pour entretenir ma concentration, et mes muscles '. Elle voyage beaucoup. Parfois pour donner un récital à l'autre bout du monde. Le plus souvent pour faire vivre la mémoire de son mari, dont le matériel musical est conservé à la Fondation Cini à Venise. Ou célébrer celle de son fils en organisant des expositions de ses photos, des régates en son honneur (c'était un passionné de voile), ou en soutenant l'action de la fondation qu'elle a créée pour lutter contre le sida en Afrique.
Certaines nuits, Marisa Bruni Tedeschi s'arrête, s'assoit sur sa terrasse, les yeux dans les étoiles. ' Je me demande si les gens que j'ai perdus ne sont pas dans ces étoiles. Je sens quelque chose au-delà du monde, au-delà de notre vie sur la terre... Sinon elle serait un peu bête cette vie, non ? ' Méditer un peu, laisser les émotions affleurer... mais ne jamais s'y complaire.
Devenue grand-mère, Marisa Bruni Tedeschi endosse avec bonheur le rôle que jouait sa mère quand elle-même avait besoin d' aide pour élever ses enfants – ' surtout maintenant que Carla a 52 concerts de prévu... ' Elle va chercher l'aîné de Carla à l'école tous les jours, enseigne le piano à la fille de Valeria... ' Prête à tout pour vivre, par nature profonde ', décrivait déjà Carla Bruni en 2003, dans une interview donnée aux Inrockuptibles avec Valeria, alors que sortaient respectivement leur premier disque et premier film. ' C'est quelqu'un qui n'a vraiment pas renoncé, à quoi que ce soit – sauf à un certain narcissisme, ce qui fait qu'elle s'amuse comme une folle. '
Heureuse d' avoir révélé son talent d'actrice, Valeria Bruni Tedeschi souhaiterait lui voir embrasser une longue carrière : ' Elle a une nonchalance quand elle joue qu'elle n'a pas du tout comme pianiste. Elle n'a aucun problème par rapport à son visage, à ses rides... C'est une richesse pour un cinéaste. ' Jean-Pierre Denis et Richard Berry ne s'y sont pas trompés, qui l'ont dirigée respectivement dans La Petite Chartreuse et La Boîte noire, en 2005.
Marisa Borini se targue de s' adapter à toutes les situations. ' C'est une interprète ', constate Louis Garrel qui a joué avec elle dans Actrices et Un château en Italie (et partagé sa vie avec Valeria Bruni Tedeschi). ' Que ce soit comme pianiste, comme maîtresse de maison, ou comme actrice, c'est le même geste qu'elle fait, toujours avec autant d'intelligence. C'est pour cela qu'elle est si bonne. '
Beaucoup moins légère que les précédentes, cette troisième collaboration avec sa fille sur Un château en Italie lui a fait rejouer le grand drame de sa vie. ' C'était évidemment très délicat, dit-elle. J'ai dû faire un travail à froid. Si j'avais été prise par l'émotion à chaque scène, je n'aurais pas pu. Mais en même temps, je n'ai pas fait d'effort. Quand on perd un fils on vit toute sa vie avec ça. Ce deuil, c'est mon quotidien. ' Soucieuse de protéger sa mère, Valeria Bruni Tedeschi l'a pleinement impliquée dans le film, la consultant sur le choix de l'acteur qui allait jouer son fils (Filippo Timi), sur la musique du film – ' les morceaux de Martucci et Rossini, c'est elle qui me les a suggérés ' –, sur les décors, et même sur le montage qu'elle a beaucoup suivi. ' On lui a beaucoup demandé comment elle supportait de voir le film... Mais elle supportait très bien. Elle l'avait déjà vu quarante fois, c'était un travail, elle était à distance. Le travail était un antidote à la mélancolie. '
Mais pas aux émotions. Retourner dans ce château où elle a vécu cinquante ans de sa vie avant de devoir le vendre en 2009 fut évidemment émouvant. ' Il y avait des souvenirs dans tous les coins. Le pire, c'était le marronnier. On aurait dû le rapatrier chez nous à l'époque. Cela, je le regrette. '
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