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Président du Musée du Louvre depuis cinq mois, Jean-Luc Martinez, 49 ans, spécialiste de la sculpture grecque, dévoile son projet.

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La fréquentation du Louvre a doublé depuis douze ans, pour avoisiner les 10 millions d'entrées par an. Votre objectif est-il de faire mieux ?

Jean-Luc Martinez : Cette affluence est une chance. Mais ce n'est pas un but en soi de faire venir plus de public. La fréquentation devrait atteindre 9,5 millions en 2013. La question n'est pas tant d' augmenter le nombre de visiteurs que de savoir comment on les accueille et ce qu'on leur propose. Près de 70 % de notre public est étranger et souvent il vient pour la première fois au Musée. Notre priorité est qu'il 'rencontre' mieux les œuvres. A nous de proposer un Louvre plus accueillant, plus lisible. C'est la raison pour laquelle la compréhension des œuvres est au cœur de mon projet. La majorité des visiteurs vient admirer La Victoire de Samothrace, La Vénus de Milo et La Joconde, alors que les salles de Vermeer ou Rembrandt peuvent être vides. A nous d'y remédier.


Comment ?

Avec notre projet 'Pyramide', qui vise à améliorer l'accueil. La pyramide de Pei a été conçue pour accueillir 4 millions de personnes ; aujourd'hui, près de 10 millions y passent, s'informent, achètent un ticket, choisissent leur parcours, déposent des bagages, mangent un morceau... La pyramide est aussi une œuvre en soi, qu'ils veulent voir, comme La Vénus de Milo. Mais elle est saturée et le bruit y est insupportable. Il faut lui redonner de la noblesse et du calme. Et, pour cela, déplacer certaines fonctionnalités, comme la billetterie.


Nous allons investir 60 millions d'euros pour reconfigurer cet espace entre août 2014 et le printemps 2016. Sans le fermer. Les groupes seront accueillis dans le hall Charles-V. Les visiteurs individuels rentreront par la pyramide et bénéficieront d'un vrai confort d'accueil. Je veux aussi que le public soit mieux informé : une grande maquette y sera installée, accompagnée de repères.


Mais comment inciter la foule à voir la peinture anglaise du XVIIe ou la sculpture du Moyen Age ?

C'est le deuxième étage de la fusée. Nous allons raconter qui nous sommes, en aménageant trois espaces dans le pavillon Sully, qui donneront les 'clés' du Louvre. Au sous-sol, l'histoire du palais. Au premier étage, celle du Musée et de nos collections. Au deuxième étage, le Louvre aujourd'hui, y compris Lens et Abou Dhabi. Le public découvrira ce ' centre d'interprétation du Musée du Louvre' au printemps 2016.


CLARIFIER L'OFFRE Faut-il modifier l'accrochage ?

On y réfléchit. Autrefois, un accrochage tenait trente ans. Aujourd'hui, il faut changer plus vite. Surtout, les 38 000 œuvres exposées vont être accompagnées d'informations en deux ou trois langues.


Et pour les scolaires ?

Nous en accueillons 800 000 par an. On doit leur donner de meilleures clés de compréhension des œuvres. En 2016, nous ouvrirons dans l'aile Richelieu un espace de 250 m 2 consacré au public scolaire, de la maternelle au lycée. Des œuvres de premier plan issues de nos collections et de celles d'autres musées nationaux y seront présentées. Juste en face, nous ouvrirons un espace de 1 000 m 2 pour la formation des enseignants. A ma connaissance, cela n'existe pas ailleurs.


Ces projets vont occuper des salles d'expositions temporaires. Vous les supprimez ?

Non, on veut clarifier l'offre. Les salles d'expositions temporaires se trouvent un peu partout dans le Musée, et le public s'y perd. Nous allons les regrouper sur deux niveaux de 1 500 m 2 chacun, sous le hall Napoléon.


Vous avez dit : 'Si ça ne tenait qu'à moi, il n'y aurait plus d'expositions temporaires.' Vrai ?

C'était une boutade. Je voulais dire que le public vient d'abord pour les collections permanentes, et que nos expositions temporaires doivent être davantage en résonance avec celles-ci, comme c'est le cas pour l'exposition qui ouvre le 26 septembre sur la sculpture florentine à la Renaissance. A nous aussi de privilégier des expositions exigeantes, qui prennent des risques.


Reste que vous allez réduire les expositions. Parce que vous avez moins d'argent ?

Nous allons perdre 2,5 % de subvention chaque année pendant trois ans, entre 2013 et 2015. Et notre fonds de roulement va être ponctionné de 36 millions d'euros, étalés sur trois ans. C'est normal de contribuer à l'effort de l'Etat. Mais nous ne réduisons pas la voilure. Nous faisons autrement, et autre chose. Sous le hall Napoléon, nous offrirons de quatre à huit expositions par an.


Quelles sont les expositions dont vous rêvez ?

Vermeer. Ce n'est pas facile. Les Vermeer sont rares et difficiles à déplacer. Et aussi une exposition sur Rome et Carthage.


Où en est le projet du Louvre à Abou Dhabi ?

Deux jours après mon entrée en fonctions, le 17 avril, je me suis rendu à Abou Dhabi. J'y ai constaté une immense envie de Louvre. La collection est constituée, le projet scientifique élaboré. Le musée ouvrira en décembre 2015.


Mais les Emiratis ont reproché au Louvre d'agir seul, sans les associer...

La polémique est derrière nous. Notre rôle n'est pas seulement de construire un musée mais de former des équipes sur place, de les accompagner. Nous avons entendu le message. Nous avons demandé au personnel de l'agence France-Muséums, qui pilote le projet, de s' installer à Abou Dhabi. Un nouveau patron de l'agence a été nommé, Manuel Rabaté. Et l'équipe 'projet' sera binationale.


Les Emiratis ne semblaient pas satisfaits des œuvres que vous avez achetées pour eux...

Ce n'est pas ce qu'ils m'ont dit. Du reste, j'ai décidé que le Louvre présentera cette très belle collection du Louvre Abou Dhabi dans nos salles, au printemps 2014, avec deux commissaires français et deux commissaires émiratis.


UN LOUVRE PLUS GÉNÉREUX Vos réserves quitteront le Louvre pour rejoindre le site de Lens. N'est-ce pas trop loin ?

Deux cent mille œuvres sont stockées en sous-sol et menacées par une crue importante de la Seine. Il faut trouver plus de 20 000 m 2, et les prix à Paris ou en proche banlieue sont prohibitifs. Aller plus loin en Ile-de-France ou à Lens, c'est la même chose : nous serons à 1 h 15 en train, 2 heures en voiture. Ce sera une contrainte, je ne le nie pas. Le personnel devra s' adapter, d'autant qu'une réserve est aussi un lieu de recherche. Nous allons en profiter pour rendre les collections plus disponibles et réfléchir à un système de navette et d'hébergement pour le personnel. Mais Lens est un choix logique. La région financera la moitié des 60 millions d'euros d'un bâtiment, qui ouvrira en 2017 ou 2018.


Ce sont vos réserves. Est-ce normal que la région paie ?

Ces réserves profiteront à la région, comme Le Louvre Lens lui profite. Sept cent mille personnes l'ont visité en huit mois, ce qui est remarquable. Mais je sais très bien que le plus difficile est à venir. Pour attirer autant de monde en 2014 et 2015, il faudra des œuvres exceptionnelles. Nous avons donc décidé que le tableau La Liberté guidant le peuple, de Delacroix, qui a contribué au succès de l'accrochage inaugural, sera remplacé en décembre par Œdipe et le Sphinx, d'Ingres. Et le Portrait de Baldassare Castiglione, de Raphaël, par l' Autoportrait avec un ami, du même Raphaël.


Etes-vous favorable aux prêts payants, comme celui qu'a fait le Louvre, pendant onze mois, de 185 œuvres au High Museum d'Atlanta (Etats-Unis), facturé 5 millions d'euros ?

Oui, car c'était un véritable partenariat. Mais je rêve d'un Louvre plus généreux.


La générosité ne passe-t-elle pas par des prêts gratuits ?

Bien sûr ! Nous le faisons. En ce moment, Bogota expose des chefs-d'œuvre de la céramique grecque, et nous y avons contribué gratuitement. Nous avons prêté des chefs-d'œuvre pour l'exposition sur Rodin et l'antique, à Arles, là encore sans contreparties.


La ministre de la culture veut que les musées prêtent des œuvres à des entreprises. Etes-vous d'accord ?

Des musées de région n'arrivent pas à attirer un public suffisant. Je suis donc favorable à la circulation des œuvres, y compris en inventant des moyens audacieux. S'il faut installer des œuvres sur les lieux de travail pour donner envie aux salariés d' aller au musée, j'y suis prêt.


Votre prédécesseur a imposé son pouvoir sur les chefs de département du Musée. Et vous ?

Chacun son histoire. J'ai été un de ces chefs de département. Je crois au dialogue, j'ai une vision, un projet. Je chercherai à convaincre, et je déciderai.


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