Walt Longmire (Robert Taylor), Longmire. DR
Walt Longmire, shérif taiseux du fin fond du Wyoming, héros de , qui commence ce samedi soir 29 novembre 2013 sur D8, est né de la plume du romancier américain Craig Johnson, en 2004, dans Little Bird (aux éditions Gallmeister en France). Un héros en deuil depuis le décès de son épouse, qui mène l'enquête patiemment, dans les plaines du Grand Ouest. Chapeau de cow-boy et carrure de déménageur, comme son personnage, Johnson a répondu à nos questions autour de Longmire, du western, du polar, des adaptations et de l'Amérique profonde.
Longmire est un polar qui respecte les codes du genre - un crime, une enquête, une résolution à chaque épisode. Comment se démarque-t-il de la masse des séries policières ? C'est un polar aux accents de western moderne. Longmire n'a pas peur d'assumer son côté western, et elle se déroule dans l'Etat le moins peuplé des Etats-Unis, le Wyoming, dans le comté le moins peuplé, Absaroka... ce qui fait une sacrée différence avec la majorité des séries policières, qui sont urbaines. La série fonctionne surtout, à mon sens, pour les mêmes raisons qui ont fait de mes romans des succès des deux côtés de l'Atlantique : ses personnages sont authentiques et profonds. Comme le décor et les personnages de Longmire sont à part, la série est à part.
La télévision va de plus en plus vite. Vous avancez le pied sur le frein, à l'ancienne. Cela fait-il de Longmire une série ' vieille école ' ?Longmire, à la différence de beaucoup de séries, prend son temps pour raconter ses histoires, et laisse ses personnages respirer et parler, ce qui est un peu old school, oui. Vous n'y verrez jamais un flic en costard Armani se pencher au-dessus d'un cadavre en faisant de bons mots. Peu d'âmes vivent dans le Wyoming, alors, quand quelqu'un disparaît brutalement, c'est une tragédie. Les téléspectateurs, comme les lecteurs, veulent des personnages avec des convictions fortes. Nous sommes noyés sous les antihéros depuis les années 60, et les gens en ont marre de voir partout la même histoire.
Laissez-moi vous raconter une anecdote. Je me baladais à moto dans la région de la Powder River, et je me suis arrêté dans le bar d'une ville minuscule. Derrière le bar, il y avait une plaque qui disait ' Longmire & Longnecks - Tous les lundis soirs ! ' Le barman m'a expliqué que les fermiers et les éleveurs de la région habitent dans des coins tellement reculés qu'ils ne captent pas la télé. Alors ils se réunissent là tous les lundis pour boire des bières Rainier Longnecks [ ' long cou ', en référence à la forme de la bouteille, ndlr] et regarder la série. Alors oui, c'est une série old school, mais ça fait bien longtemps que les polars n'arrivent plus à être avant-garde.
Ça vous fatigue les polars scientifiques comme Les Experts ?Boy Howdy ! [ ' Bon Dieu que oui ', ndlr] Longmire est un anti-Les Experts. Walt n'a même pas de téléphone portable. Au lieu de compter sur la science, mes livres, comme la série, retournent à une époque où les personnages et les décors font l'histoire, et non je ne sais quelle croyance irréaliste en une science criminelle à laquelle seule une poignée de flics dans le monde a accès. Dans le Wyoming, il n'y a qu'un seul labo, et j'ai appris qu'il fallait neuf mois pour avoir une réponse sur un test ADN ! Ça vous donne une petite idée de la crédibilité de ces séries. La technologie est déshumanisée, et fait trop souvent perdre le contact émotionnel avec les héros.
La première série à laquelle on pense quand on voit Longmire, c'est , dont le héros est aussi une sorte de cow-boy moderne. La comparaison vous satisfait-elle ?Justified est une très bonne série, mais ce n'est pas un western - elle se déroule dans le Kentucky, et me semble donc plutôt être dans le registre sudiste. L'endroit où vous situez votre série en dit long sur votre histoire. Les Appalaches sont très isolés et insulaires, très différents du Grand Ouest où se passe Longmire. Il n'y a pas de chevaux, pas d'Indiens non plus dans Justified, mais ce qui nous sépare vraiment, ce sont les deux héros de ces séries. Raylan Givens, le marshal au centre des livres d'Elmore Leonard, qui ont donné Justified, est du genre à tirer, puis à poser ses questions dans un second temps. Tout l'opposé de Walt, le shérif de Longmire, qui est un homme gouverné par une morale forte, qui réfléchit toujours avant de parler et d'agir. J'ai eu la chance de pouvoir rencontrer M. Leonard au Festival du Livre de Tucson, en Arizona, et la première chose qu'il m'a dite, c'est ' joli chapeau. ' On a beaucoup rit du fait qu'il détestait le chapeau de Raylan Givens, un couvre-chef de cow-boy qui n'a aucun sens dans le Kentucky !
Est-ce difficile d'abandonner un personnage de roman à la télévision ? Pour moi, la série et les romans sont deux choses qui existent dans deux univers différents. Les acteurs de Longmire sont formidables, mais différents des personnages des livres dont la plupart sont inspirés par des proches, et c'était quasiment impossible de trouver des comédiens qui puissent leur ressembler. Aujourd'hui, il m'arrive de glisser des clins d'œil à la série dans mes livres...
Quel contrôle avez-vous sur la série ? Vous assurez-vous qu'elle reste fidèle à vos œuvres ? Je suis consultant créatif exécutif sur Longmire, donc ils m'envoient les synopsis de tous les épisodes, puis tous les scénarios. La plupart de mes romans sont basés sur des faits divers lus dans les journaux, mais je tombe souvent sur des histoires qui ne collent pas avec un livre de 400 pages, alors je les envoie aux auteurs, à Los Angeles. Ils ont déjà utilisé toutes ces suggestions, alors je m'inquiète pour les prochaines saisons... Quand à savoir si la série est fidèle aux romans, je sais que ses scénaristes aiment ce que j'écris, et c'est déjà pas mal.
'Ce qui fait un bon roman ne fait pas nécessairement une bonne série.'
En quoi Longmire, la série, diffère-t-elle de vos romans ? Ce qui fait un bon roman ne fait pas nécessairement une bonne série. Je suis fier que mes livres ne se laissent pas aisément transformer en un épisode de télé de 45 minutes. Si c'était le cas, je me serais sans doute déjà lassé de les écrire, et mes lecteurs de les lire. Les auteurs de Longmire picorent dans mes textes pour imaginer leurs propres histoires. Dès le début, ils ont décidé que toutes les fins d'épisodes seraient différentes de celles de mes histoires, pour ne ruiner le plaisir de personne. Il y a d'autres différences : Walt et Henry ont dix ans de moins que dans les romans. Quand je leur ai demandé pourquoi les rajeunir, les producteurs m'ont dit qu'ils espéraient que Longmire dure dix ans, et qu'ils voyaient mal les héros avoir besoin de cannes pour se déplacer.
En général, les séries tirées de livres finissent par s'en éloigner, comme Dexter ou The Walking Dead. Pensez-vous que cela arrivera à Longmire ? Absolument. J'adore recevoir les scénarios, et découvrir ce qui va arriver à mes héros à la télé, même si leur histoire reste bien plus proche de mes écrits que les séries que vous mentionnez. Longmire est un carton pour la chaîne A&E aux Etats-Unis, avec plus de 6 millions de téléspectateurs chaque semaine, alors beaucoup de gens découvrent Walt Longmire via la série, puis viennent ensuite lire mes livres. Ça ne me dérange pas. J'aime l'idée de reconquérir des lecteurs sur le dos de Hollywood. Je ne sais pas où ira Longmire dans le futur, mais les séries qui se sont éloignées de leur matériau d'origine ont généralement mal tourné. Du coup, j'espère que les auteurs de Longmire resteront fidèles à mes livres...
Le western se porte bien à la télé américaine, avec des séries comme Hell on wheels, Justified, Vegas ou votre série. Comment expliquez-vous cette tendance ? Une poignée de séries ne fait pas une grosse tendance. Les héros de Justified et Longmire plaisent parce qu'ils sont intéressants, torturés. Le premier est dans l'action, le second dans la réflexion. Il y a un héroïsme singulier dans son courage, sa lutte face à sa souffrance, et peu importe qu'il porte un chapeau de cow-boy ou pas. Je le vois un peu comme Jean Valjean avec un Stetson.
A voir
Longmire, le samedi à 20h50 sur D8.